Les poules ont besoin d'ingérer des cailloux, les gastrolithes, pour pouvoir broyer correctement les aliments et permettre leur bonne digestion. Chez CotCotCot, les cailloux sont une passion et l'objet d'un rite bien spécial : quand Mme CotCot part en salon, ses poussins glissent un petit caillou dans la poche de son sac à dos ! Ce geste d'apparence anodine est intime, incroyablement fort et évocateur.
Nous vous proposons une petite revue de la présence des cailloux dans le catalogue de la maison d'édition, qui ne laisse probablement pas grand-chose au hasard...
Dans Tant qu'on l'aura sous les pieds (GR01, coll. Les Randonnées Graphiques), Chloé Pince reprend les propos d'un journaliste dès l'entame de son roman graphique sur la lutte du Larzac.
Elle s'attache ensuite à illustrer l'idée que le paysage est fait de brebis, qu'elles sont un des éléments structurants, fondateurs de cette nature qu'il faut préserver. On ne sait discerner les bêtes des roches et vice-versa...
Dans Mori (GR03, coll. Les Randonnées Graphiques), le roman graphique de Marie Colot et Noémie Marsily, la pierre nouée présente dans la forêt du botaniste Miyawaki intime les limites d'un territoire, mais invite, dans le même temps, les curieux·ses à s'aventurer sur son domaine et découvrir une nature façonnée par des mains humaines. Une forêt symbolique, qui donne à réfléchir sur la place de la nature dans nos existences.
Il est précisé, dans la partie documentaire de l'ouvrage, que la « barrière physique ou spirituelle, kekkai, qui signifie "monde noué", représente une façon de penser l’espace et pas seulement de le délimiter. Il peut prendre la forme d’une pierre ronde ficelée de chanvre, d’un point d’eau, d’une haie, d’un bâton d’encens, de la lune symbolisant le monde flottant de l’impermanence, etc. La pierre ficelée de chanvre noir est appelée sekimori-ishi (関守石) ou tome-ishi (留め石) : elle encourage les visiteurs à ne pas aller plus loin… »
Si le sujet vous intéresse, nous vous conseillons un ouvrage passionnant : La beauté du seuil – Esthétique japonaise de la limite, d’Ito Teiji, traduit et commenté sous la direction de Philippe Bonnin (CNRS éditions, 2021).
Dans Des haïkus plein les poches, illustré par Julie Van Wezemael, Thierry Cazals nous invite à nous interroger sur le sens de nos actions :
« Ici et là, sur les étagères, j’ai aligné des bouts de pierre rapportés de mes voyages. À chacun son histoire et son secret. En fait, je me demande si je ne voyage pas uniquement pour récolter des cailloux !
Et vous, qu’aimez-vous conserver de vos voyages ? »
Revient assez régulièrement la question de la collection... Comment tout cela a débuté, par exemple. Comme dans Petits riens, dans lequel Marion Pédebernade alias Waii-Waii se remémore le moment où tout a commencé pour elle. Le contenant devient alors aussi précieux que le contenu. Ces boîtes de toute taille, choisies minutieusement, deviennent des écrins pour des éclats de roche aussi minuscules que les grains de sable.
« J’ai récupéré des boîtes d’allumettes pour les y ranger, et c’est comme ça que ma collection a commencé.
Il me faut beaucoup de temps pour choisir mes spécimens, les classer, imaginer d’où ils proviennent. Les gens qui m’observent s’amusent souvent de me voir ainsi à l’œuvre.
Mais moi, j’aime bien les trucs qui ne servent à rien. »
À la taille de son monde, l'enfant naît caillou, là, dans le parc, au milieu des autres enfants, alors qu'il fait une formidable découverte, dans l'indifférence la plus bruyante possible. Et puis, il retourne naturellement caillou avec le ressac.
Sur Musiq3, au micro de Pascal Goffaux il y a quelques années, Françoise Lison-Leroy expliquait que « le caillou, c’est un petit monde en soi. Quand on tient un caillou dans la main, qu’il soit rond ou anguleux, on possède un petit monde. On ne sait pas ce qu’il y a à l’intérieur. À l’intérieur, il y a des choses qui se révèlent… »
Raphaël Decoster posait, lui, la question de l'objet, de l'outil qui allait l'aider à façonner la matière dans le premier carnet Tous mes cailloux : « Avec juste une forme, on peut vraiment partir dans l’abstraction, se plonger dans les textures, plonger dans le caillou, en fait. On oublie presque l’objet de base. On rentre dans ces accumulations de lignes ou de points. J’ai essayé aussi d’effacer un peu le geste humain en utilisant des outils, la règle, des lignes très droites pour justement avoir une espèce de geste mécanique pour parler d’un objet complètement organique. Comme je ne suis pas une machine, il y a toujours des petites variations, et c’est ça qui crée les textures et les volumes de ces pierres. »
Le caillou, froid et dur, chauffe lentement. Il réchauffe le creux de la paume. Il s'adoucit. Se laisse saisir, mais reste insaisissable... Parfois, il est mal poli. Malpoli.
On se régale alors de la conversation imaginée par Giuseppe Caliceti & Noemi Vola (traduction depuis l'italien de Laetitia Cordonnier) dans le succulent Tchao Caillou !
Ne se découvre pas et garde son intérieur intact.
Rugueux, il résiste.
Veut garder sa part de mystère.
Et se moque ouvertement de notre curiosité (bien légitime ?).
Après tout, toutes les questions sont-elles faites pour trouver réponse ?
Il faudra se montrer patient·e ou tenace pour découvrir « la fibre sensible du caillou », justement nommée par Fabienne sur le blog MéliMélo de livres. Ça n'est finalement qu'un juste retour des choses, pour un caillou aussi vieux que la terre...
Peut-être faudrait-il se montrer aussi vorace que la pholade, « qui perce des trous non-stop dans la roche tendre, plus ou moins dure (argile, calcaire et craie) », comme on peut le découvrir sur les photographies de Marie Saille dans Laisse de mer (coll. Les Baladeurs) ?
Mais l'excès de convoitise ou les envolées créatrices de plus en plus nombreuses (avec notamment l'édification de cairns géants) ne sont pas sans dangers. Les pétrophiles obsessionnels, au-delà du choc esthétique qu'iels peuvent provoquer chez certain·es, ne sont probablement pas des exemples à suivre...
L'écosystème du littoral est fragile : « les cordons dunaires servent de barrière naturelle pour le contrôle de l’érosion côtière et la sauvegarde de la biodiversité. C’est une zone de transition idéale pour de nombreux oiseaux, qui l’utilisent comme site d’alimentation – dit "de gagnage" – et de nidification. Petits échassiers de rivage, passereaux, sternes, mouettes ou goélands trouvent là un fabuleux garde-manger à ciel ouvert ! »
Dans le même petit ouvrage, Marie Saille nous incite ainsi à ne rien déplacer ou à laisser sur place les cailloux collectés tout au long de la journée, et non pas nos peaux de banane bien bronzées.
Ces petits gestes peuvent-ils provoquer des émotions, des sensations pouvant calmer les plus écoanxieux·ses d'entre nous ? Ils entraînent probablement la création d'images mentales fortes. Tout comme ces derniers mots d'Edith Van Dooren dans Mémoires minérales, prochain tite de la collection Matière vivante, à paraître en juin 2025 :
« Elle et il profiteraient de la fraîcheur d'une après-midi pour ne rien se dire. »
Enfin, c'est dans un écrin rocheux qu'Anne Crahay a décidé de laisser les petits sourires de papier de Suzie partir au loin. Quel plus beau symbole pour finir cette publication ?
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à noter :
>> Dans le dossier pédagogique Tous mes cailloux, téléchargeable gratuitement, quelques belles propositions d’activités pour la maternelle et le primaire autour du carnet Tous mes cailloux de Françoise Lison-Leroy & Raphaël Decoster, avec quelques ricochets en direction de Tchao Caillou ! de Giuseppe Caliceti & Noemi Vola (trad. Laetitia Cordonnier ) ainsi que Petits riens de Marion Pédebernade. Vive les cailloux !!!
>> Le regroupement de l'ensemble du Centre de Littérature de Jeunesse de Bruxelles - CLJBxl, Le Wolf - La Maison de la Littérature de Jeunesse, le Centre de Littérature de Jeunesse André Canonne de La Louvière ainsi que les Ateliers Texte-Image au sein du Réseau Cailloux (Instagram ; Facebook). Les éditions CotCotCot ont eu le grand honneur d'étrenner leur premier festival au début du mois d'octobre 2024. Le programme est à retrouver ici.
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